lundi 9 juin 2008

Anthropologie du cadre photographique

"Il a suffit du passage des céréales sauvages aux céréales cultivées, avec le besoin agraire de délimitation des étendues et des capacités, pour que des équerres de références se ferment en rectangle. (…)
Pour le peintre le format du cadre devait jouait un peu le rôle du module pour l'architecte, de la forme musicale (AA', AB, ABA, ABACA, etc,.) pour le musicien. Selon les cultures, il y eut des cadres non dialectiques, comme le tatami japonais, qui est un double carré, et des cadres dialectiques, où le côté le plus grand est au plus petit comme la somme des deux est au lus grand, comme dans le nombre d'or occidental 1,618/1.
La photographie s'est inscrite dans cet enthousiasme, et même elle en dérive. Quand, après quelques millénaires, la volonté représentative des agriculteurs occidentaux devenus industriels les poussa à chercher des images photoniques et à découvrir les propriétés photosensibles des halogénures d'argent, il fut tout à fait normal de donner aux empreintes ainsi obtenues la rectangularité indexatrice qui avait si puissament prévalu dans les images sémiotiques (peintures et sculptures) produites jusque-là. (…) L'image photographique était seulement indicielle, non sémiotique et d'autre part sa perspective demeurait fort flottante; la faire se terminer à quatre angles droits reliés par quatre droites n'était donc pas inutile pour arrimer, baliser, en un mot indexer ce vague, et en particulier pour faire en sorte que la pyramide de l'œil aide à construire quelque peu sa pyramide symétrique, du moins en pointillé."

Henri Van Lier
Anthropologie du cadre photographique