Acedia regroupe des éléments liés aux photographies de Patrice Broquier. C'est aussi le partage de quelques textes, livres et expositions...
jeudi 21 novembre 2013
dimanche 10 novembre 2013
dimanche 3 novembre 2013
Camera lucida
C’est le moment du rapport physique aux images, celui où les pigments projetés sur le papier jouent aux sels d’argent, à la lumière, celui des incertitudes aussi : inconfort, attente d’évidences sans preuves. Je regarde mes gesticulations en attente d'un moment de vérité, de quelque chose d'indicible.
Le processus s'est aiguisé bien avant la coupure du déclencheur, la partie visible est tendue, le papier nerveux, le scalpel les découpent à main levée, les tirages se déchirent. L' orthogonalité est abandonnée à ce qu'elle est. Je sais un peu moins ce dont il s’agit ce qui finit par être rassurant. Je m’apprivoise…
Irréversible et inachevable ont à voir avec photographie.
" Luz visible ", lumière visible, entre le vu et l’invisible, vista. Il faudra sans doute retrouver cette lumière depuis l'obscurité, celle de la caverne de Platon, celle décrite par Lucrèce, celle du désert, celle d’un monde primordial d’avant le photographique : régression salutaire, impasse, camera lucida.
C’est alors le moment de l’accrochage, celui où le cordon ombilical est coupé, celui de l’abandon des images à ce quelles sont, à ce qu’elles deviennent où dans le meilleur des cas elles m’échappent dans un espace que je finis par accepter. Chaque agencement, chaque pli devient un piège à inconscient. Je dois clore le temps de l’exposition. Le processus n’est pas achevé. L’espace me manque, je l’imagine.
Ce fut le moment de l’exposition, la seule qui compte. Les trente secondes qui attendent la foudre, les minutes qui enregistrent les étoiles dans le désert, le dix millième de seconde au soleil d’Andalousie, la poussière, le sable, les pixels, zéro, un, indice minimal puis enfin en revenir à Lucrèce (1er siècle ), "De rerum natura" (De la nature des choses – livre IV) :
Je dis que les choses envoient de leur surface
des effigies, formes ténues d’elles-mêmes,
des membranes en quelque sorte ou des écorces,
puisque l’image revêt l’aspect, la forme exacte
de n’importe quel corps dont vagabonde, elle émane.
(…)
de la même façon, en un seul point du temps
une foule d’images doit s’élancer des choses
de mille manières, partout et dans tous les sens,
puisque à toute visée du miroir les choses répondent
par des couleurs et des formes qui leur ressemblent.
(…)
la lumière succède aussitôt à la lumière
son éclair stimulé par le dard d’un nouvel éclair.
De semblable manière, les images sont forcément
capables de parcourir en un seul point du temps
un espace indicible, parce que loin derrière elles
une cause infime les pousse et les projette ;
Ajoute qu’elles volent légère en leur course ailée,
que leur texture enfin est lâche dés leur émission,
au point qu’elles pénètrent aisément toutes les choses
et coulent pour ainsi dire dans l’étendue de l’air.
Patrice Broquier Novembre 2013
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